[RP] L'honneur de Rochemaure

Paris, le 5 juin 1653

La sourde rumeur du souper montait jusqu'à lui. Parfois, il entendait le tintement des cristaux et les éclats de rire. Il soupira. Encore une de ces soirées dispendieuses qu'affectionnait son neveu. Il réprouvait ces réunions de sociétés mêlées. Avant que sa santé ne se détériore, il y avait prit part davantage par curiosité que par goût. Il en avait été puni par le scandale ressenti. La vie se chargerait-elle de mettre du plomb dans cette tête légère ? Ce n'était pas faute d'avoir sermonné, d'avoir répété à satiété que l'opulence d'une famille ne s'édifiait pas en un jour. Volonté, rigueur, prudence et modestie avaient longtemps présidé à l'irrésistible montée de la peur. Enfin... LA leur ? C'était de la sienne qu'il parlait. Ce neveu ne l'était que par alliance, le fâcheux résultat d'un marché qu'alors il avait déjà condamné.

À l'époque, par une de ces clairvoyances particulières qui sont quelques fois départies par le destin, il avait déchiffré dans cet événement une sorte de mésalliance, un alliage de métaux disparates. Oh ! Certes, sa nièce ne possédait rien qui pût aimablement attirer, sinon sa bonté et sa douceur, qualités qui pesaient peu dans le siècle. Il la tenait en affection, elle demeurait dans le tendre d'un coeur que la vie avait desséché. Il la considérait comme sa fille. À y bien réfléchir, elle avait été vendue, ou plutôt offerte en gage d'un traité dans lequel seuls les intérêts des parties en présence importaient. La faillite puis la suppression, de la Compagnie des îles d'Amérique avait contraint Joseph de Ravillois, son beau-frère, le père de Charlotte, à de cruels ajustements. Sans réussir à sauver sa fortune, il avait pourtant tenu honneur de rembourser tous ceux qui lui avait confié des fonds. Charlotte avait été sacrifiée sur le temple de la vertu. Sans dot, elle apporté le nom d'une famille ancienne que l'événement n'avait pas fait démériter, bien au contraire. Il y décelait un acte honteux, une trahison.

De cette union deux fils étaient nés qui assuraient la pérennité mâle des Bougard, désormais Bourgard de Ravillois. Qu'il fût porté par un Avocat Général au Parlement de Paris n'anoblissait pas pour autant un patronyme qui sentait la roture à une lieue. Sa rancune l'égarait, il oubliait l'origine lointaine des Montosier, sa propre branche. Il en était ainsi de nombre de familles de robe et de finance. C'était l'honneur, la manière de se comporter et la modestie d'un rang qui insensiblement faisaient coïncider la noblesse des charges et des offices, ces savonnettes à vilain, avec la qualité des coeurs et des talents. Il eut un sourire amer ; il y fallait beaucoup de volonté... et d'honnêteté.

Avait-il, lui-même, toujours observé ces règles qu'il eût aimé voir révérer par son neveu ? Nul n'était parfait et à l'âge auquel il était parvenu et dans son état, rien ne servait de se leurrer. Quelques sombres épisodes déparaient une vie en apparence lisse aux yeux du monde. Longtemps il avait tenté de les oublier ou de les justifier de bonnes raisons, en vain. Un craquement le fit sursauter. Encore ces parquets qui travaillaient sans cesse, comme aussi les boiseries. pourtant cela semblait bien proche. Toute la maison semblait soucieuse de prendre ses aises en étirant ses articulations. Il eût aimé en faire autant.

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[Note hrp : à suivre ]