Aimer lire, parler, s'amuser, c'était échanger des heures d'ennui contre des heures savoureuses. C'était grâce à l'ennui que j'avais décidé d'ouvrir ce salon, sis en mon hôtel particulier, dans l’un des endroits les plus prestigieux du quartier des Marais. En particulier, pour redonner de l'élan aux distractions oubliées par le temps. Paris, la France avaient besoin de se divertir, de rire, de s’enorgueillir, de souffler, de respirer! J'avais l'impression que le monde se morfondait dans des habitudes plan-plan et mornes et que malgré les efforts, l'ennui accaparait les gens. Nobles et roturiers y seraient conviés, pourvu qu’ils fassent preuve d’originalité. La manière de parler par exemple. Périphraser au lieu de termes innés et réalistes, donnant ainsi au poids des mots plus de légèreté. Et la littérature, impossible de l’évincer. Du moins les lire et en délibérer. Tout comme l’écriture, la poésie, où chacun ajusterait son style, réunis pourquoi pas dans un recueil. Du théâtre, de la musique, des bals masqués, des jeux de société...sortir un temps soit peu du quotidien.
L’on entrait dans l’hôtel par deux larges portes sculptées et arquées, dont deux lions ciselés dans le chêne, fixaient les heurtoirs, après avoir gravi des marches de pierres. Le large hall comprenait en son centre un grand escalier de granit, muni de deux rampes en fer forgé, deux salons parquetés le cernaient, agrémentés de boiseries et ornés de cheminées. Un fumoir pour ces Messieurs suivait celui de droite, tandis qu’un bureau jouxtait celui de gauche. A l’ouest une grande salle à manger ornée d’une monumentale cheminée. Dans une autre aile, une bibliothèque, offrant de quoi s’évader. Tout à droite, l’office où l’on pénétrait par un escalier de service, descendant vers les cuisines, une cave à vin sous partie composait la moitié du rez-de-chaussée. Au premier étage, dix chambres, dont huit comprenaient une salle d’eau, entremêlés de sept boudoirs. Sans parler du dernier étage réservé au personnel et lingerie et du parc arboré et fleuri au printemps et été.
J’étais dans mon bureau à imaginer certains divertissements, et à espérer quelques intervenants. J’étais à la fois anxieuse et enjouée. Mais nous étions au Grand Siècle, pour ne pas dire XVIIè. Et la tendance était à la préciosité. Pourquoi ne pas en user. Pour l’heure, je m’amusais à détourner les mots, les périphraser et les notais. Je pris une tasse de tisane, que l’on m’avait apporté, et les yeux rivés vers le parc, je laissais mon esprit vagabonder. La déesse des ombres enveloppait la ville de son aura. Nul flambeau du silence, nulles grâces célestes visibles dans la voûte. L’hiver laissant derrière lui des lambeaux de brume épaisse, éclipsant le scintillement. Je souriais. Ce cas de figure était un hymne à la poésie, dont je me promettais un jour de coucher sur papier. Puis de rêveuse, je redevins bergère, rejoignant mes moutons. Il n’était finalement pas difficile de détourner les mots. Il suffisait d’un peu d’imagination poétique et l’on pouvait redonner un sens plus élogieux à la vie, sans pour autant tomber dans la ringardise, ni l’abus de romantisme. La pendule venait de sonner la onzième heure de la soirée. Cela tombait bien, car j’étais éreintée. Dans un soupir, je délaissais ma plume et mes idées, puis je disparaissais vers l’empire de Morphée.