[RP] 12, quartier Saint-Archeul, chez Cassie.

Spoiler:

Ma nouvelle maison n'était pas grande, sans être minuscule non plus. Pile la taille qu'il faut pour moi. Dotée simplement d'une chambre, une cuisine, une salle d'eau, une salle à manger et une pièce libre qui servira à stocker mes créations. Il y a aussi un minuscule grenier que je n'utiliserai sans doutes pas.

J'avais déjà commencé à recouvrir les murs de la pièce vacante de feuilles que j'avais noircie de ma plume. Certaines n'affichaient que de minuscules phrases, d'autres avaient été remplie de mots et de taches d'encre. Il y avait même une feuille tâchée d'encre.

Cette pièce, je m'asseyais souvent en plein milieu. Et là, je réfléchissais. Je ressassais sans cesse mon passé qui m'apparaissait de plus en plus clairement, me revenais pas bribes et morceaux.

J'allais bien. Du moins, je le pensais. Je l'espérais. Je voulais plus que tout reconstruire ma vie, et oublier ce qui a peuplé mon enfance. Oublier mes phobies.

La pièce aux feuilles était très poussiéreuse. J'avais beau astiquer très fréquemment tout le reste de la maison, je n'ai jamais eu le courage de pénétrer ici avec un balai à la main. Elle n'était meublée que d'un petit secrétaire verni et d'une chaise. Je crois qu'elle était à l'image du vide qui me bouffait de l'intérieur depuis un bout de temps.

J'étais seule
Irrémédiablement seule.

J'avais fait une très, très brève apparition à Eu avant d'être contrainte de revenir à Amiens à cause d'un poste que je n'avais même plus. J'étais en colère.
J'avais pris ma décision. Dès le premier août, dès que mon mandat sera terminé, je m'en irais. Ça me faisait mal de laisser cette plaisante demeure derrière moi, enterrée dans mes souvenirs. Mais rester à Amiens ne me convenait plus. Je ne rêvais que de fuir, que de m'en aller loin. Très, très, très loin. Je voulais voyager. Je m'étais réconciliée avec les fiacres et autres cahotements de la route, alors je devais en profiter.

Je m'étais installée dans la pièce vide. enfin, plus si vide que ça. Les murs s'étaient épaissis de plusieurs centimètres.
Lord Dainy. Je pensais à Lord Dainy. Il est tellement loin, le temps où nous nous aimions. J'étais en proie à une nostalgie profonde. Or j'ai eu beau vérifier les cartes des routes de France des centaines de fois, je ne pouvais pas revenir dans le nord de l'Italie, là où je vivais autrefois.

A force de colorier une feuille, j'avais fini par la déchirer. Je poussai un juron.
Je me levai et  appelai Sally, la domestique qui me servait à la fois de cuisinière et de femme de chambre. Je n'avais pas les moyen d'en avoir plusieurs. De plus, je ne pouvais ni la nourrir ni la loger, avec le salaire conséquent que je lui versais. Elle se débrouillait seule, et ça nous allait à toutes les deux.

Elle m'aida à nouer mon corset. Il me déchirait de l'intérieur, mais pour une fois, ça m'allait bien. Je m'en fichais. Elle m'habilla, puis je la congédiai.

Tu peux y aller, Sally. Merci à toi.

Elle se retira avec une courbette polie. Elle ne posa pas de questions quant au fait que je la laissais partir avant l'heure habituelle. Elle n'avait pas encore préparé le dîner.

Tant pis. Je n'avais plus besoin d'elle à présent. Je n'avais plus besoin de personne.

J'avais fini de faire mes malles. Il ne restait que les meubles pour occuper la maisonnette. J'avais cassé volontairement mon service à thé - que j'avais pourtant acheté au prix de quelques semaines de labeur - et les bibelots de verre.
Dans la plus grande malle, mes vêtements. Mes quelques robes, mes jupons, mes corsets, mes chaussures, et une petite trousse avec mon nécessaire de toilette.
Dans ma main, je tenais ma valise avec mes effets personnels. Celle que je garderais avec moi pour ne pas la perdre même malgré une possible attaque de truands - on en trouve partout. Un coquillage, une bague, un châle, une petite bouteille d'eau-de-vie, une feuille de papier, ma plume et mon encrier, et une pochette de cuir où j'ai entreposé quelques textes arrachés aux murs de la pièce vide. Je ne pouvais pas tout prendre, à mon grand regret. Tant pis, ils seront là pour mon retour. Ou alors si quelqu'un a l'envie subite de fouiller (il ne trouvera rien, juste des meubles qui seront devenus crasseux avec le temps).
J'ai étudié pour la énième fois la carte de France accrochée dans la salle à manger : ce sera direction la Normandie. Eu ou Rouen, je n'en savais trop rien encore. J'avais pour but d'atteindre la capitale aussi, mais ce sera pour une autre fois. Les fiacres du coin ne proposaient pas beaucoup de destination, avec le peu de pécule que j'avais.

Allez Cassie.

Je sortis de la maison, fermant à double tour la porte et déposant la clé sous le paillasson. A votre guise, squatteurs de passage.
Adieu, Amiens.